Activité proposée en 2020-2021

Retour sur la journée d’étude « Reading White Innocence. Paradoxes of Colonialism and Race », organisée le 24 mars 2021 dans le cadre de la Chaire du Roi Willem-Alexander

Cette journée d'étude, axée sur la thématique de la place de la race dans la société néerlandaise et au-delà, s’articulait autour des travaux de Gloria Wekker, anthropologue et artiste néerlandaise d’origine surinamienne et professeure invitée dans le cadre de la Chaire du Roi Willem-Alexander pour les années académiques 2019-2020 et 2020-2021.

La keynote de la professeure Wekker, point d’orgue de cet événement auquel une centaine de personnes ont participé, était précédée de deux panels comportant chacun trois exposés.

 

Stefan Grondelaers (Radboud Universiteit Nijmegen) a ouvert la journée d’étude avec une conférence en linguistique, intitulée Accent Discrimination in the Netherlands: Is Aïcha allowed more than Ahmed? Les participant·e·s ont pu découvrir les résultats de deux études expérimentales consacrées à la question des accents ethniques. Si les hommes néerlandais d'origine marocaine sont les plus durement touchés par le racisme fondé sur l'accent, ils ne sont pas catégoriquement rejetés. L'accent marocain est toujours considéré comme inférieur à l'accent indigène, mais pour les hommes, il s'avère être le plus souvent associé à différentes formes de dynamisme par des évaluateurs et revêt ainsi, parmi les nombreux accents que compte le néerlandais, le plus haut de degré de prestige. Le « marocain féminin », quant à lui, suscite des réactions plus mesurées, mais il est loin d'être accepté comme un accent indigène.

 

Kathleen Gyssels (Universiteit Antwerpen) a poursuivi avec sa présentation Queering Wekker with Wynter and Taubira: Sycorax’ Sisters in the Struggle against White Male Heteronormative Prejudice. Gyssels a établi un parallélisme entre les efforts constants de Gloria Wekker pour sensibiliser un large public aux privilèges blancs, qui continuent d’exister en Europe et en Amérique, et l’engagement de deux figures emblématiques de la lutte raciale : Christiane Taubira, dont la carrière politique, rythmée par son combat contre la suprématie blanche et la misogynie, fut marquée par l’adoption de la loi ouvrant le mariage aux couples de même genre à l'Assemblée française en 2013, et Sylvia Wynter, qui, née à Cuba et ayant passé de nombreuses années en Jamaïque et aux États-Unis, a également combattu l'homophobie en Guyane.

 

Dans sa contribution ‘Heb je dat, betrokken blanke wereldburger?’ Black Refugees and White Compassion in Two Works by Ilja Leonard Pfeijffer, qui clôturait ce premier panel, Liesbeth Minnaard (Universiteit Leiden) a abordé deux œuvres de l'écrivain néerlandais Ilja Leonard Pfeijffer en tant qu'exemples de la littérature néerlandaise traitant de la crise migratoire : son célèbre roman La Superba (2013) et la nouvelle Fatou yo, parue dans le recueil de textes Gelukszoekers (2015). À travers une analyse comparative des deux textes, elle a illustré comment leur positionnement manipule le lecteur empathique. Le malaise (racial) qui résulte de cette manipulation est considérablement plus efficace dans le cadre de La Superba que dans le cadre du recueil Gelukszoekers, malgré l'agenda explicitement activiste de ce dernier.

 

Le deuxième panel a débuté par l’intervention de Dominiek Dendooven (In Flanders Fields Museum), intitulée White… or not quite: The Issue of Race in First World War Studies. De 1914 à 1919, les empires coloniaux français et britannique ont importé des centaines de milliers de leurs sujets non blancs en Europe pour servir dans la « Grande Guerre de Civilisation ». Aujourd'hui, certains historiens préconisent de considérer la « Grande Guerre » comme une « plus Grande Guerre », au-delà des frontières géographiques et chronologiques du champ de bataille européen et des années 1914-1918. Dendooven supporte ce mouvement, qu’il espère voir déboucher sur une approche plus inclusive de la réflexion sur la façon dont les vies noires ont été instrumentalisées dans cette guerre d’hommes blancs.

 

Dans un deuxième temps, Bastien Bomans (Université de Liège) a présenté Beyond White Gays / Gaze: Imperialist Nostalgia, Racialized Homophobia and Queer Extravaganza. Bomans s’est intéressé à la notion de « nostalgie impérialiste », introduite par Gloria Wekker. Ce concept fait référence à une condition dans laquelle les colonisateurs déplorent la disparition de ce qu'ils ont eux-mêmes altéré, détruit ou transformé. Wekker met en lumière la manière dont les discours dominants, issus des gays masculins blancs et du regard blanc, représentent l'homophobie comme étant incarnée par des personnes de couleur et, plus particulièrement, par de jeunes hommes musulmans. Le résultat de la nostalgie impérialiste est qu’elle masque les imbrications complexes des systèmes d'oppression, renforce l'islamophobie et le racisme, et nie l'existence d'identités et de désirs queer intersectionnels.

 

Enfin, Agnes Andeweg (Universiteit Utrecht) s’est penchée sur « l’archive culturelle », un autre concept-clé étudié par Gloria Wekker, qui emprunte le terme à Edward Said. Dans sa conférence Exploring Layers in the Cultural Archive : the Case of Rembrandt’s Painting of Two Black men, elle a décrit ce que l’archive culturelle nous permet, en tant que chercheur·euse·s, de comprendre sur l'histoire, la mémoire et la société néerlandaises. S'appuyant sur des débats en histoire, en archivistique et en études de la mémoire et sur le cas du tableau Deux hommes africains de Rembrandt van Rijn, Andeweg soutient que, malgré les avantages évidents qu’elle présente pour reconnaître et admettre les structures profondes de la colonialité dans la société néerlandaise, l'archive culturelle doit être davantage comprise pour pouvoir pleinement aborder les possibilités de changement de la société.

 

La journée d’étude s’est achevée par la keynote de Gloria Wekker, intitulée Beyond White Innocence in the Academy. Wekker a expliqué avoir enquêté, dans le cadre de son ouvrage White Innocence (2016), sur la manière dont les Néerlandais·e·s entretiennent le mythe selon lequel quatre cents ans d'impérialisme n'auraient laissé aucune trace dans la société néerlandaise actuelle. Elle met en évidence les divergences sociales entre la représentation de la société telle que décrite au travers de récits personnels de Néerlandais·e·s et la réalité. Cette innocence blanche empêche l’homme blanc d’appréhender la réalité sociale pour ce qu’elle est vraiment. Dans son exposé, Wekker a également exploré en quoi l’effet de la race était sous-estimé dans la production de connaissances générales et académiques aux Pays-Bas.

 

À l’issue des interventions, conférencier·ère·s et participant·e·s ont pris part à un débat riche et animé, modéré par Elisabeth Bekers (Vrije Universiteit Brussel). La journée d’étude, organisée conjointement par les Unités de recherche Lilith et CEREP de l’ULiège, a été rendue possible grâce au soutien de la Taalunie et de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas en Belgique.

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